Pourquoi l’Afrique devient une destination prisée par les voyageurs européens

Plus de 60 % : c’est l’explosion du nombre de voyageurs européens vers certain pays continent africain entre 2010 et 2023, selon l’Organisation mondiale du tourisme. Ce mouvement massif chamboule les trajectoires habituelles, à l’heure où longtemps, la mémoire de la domination coloniale et des déséquilibres économiques avait figé les échanges entre l’Europe et le continent africain.

Ces arrivées constantes s’enracinent alors que les sujets sensibles, mémoire coloniale, restitution d’œuvres et recomposition du dialogue Nord-Sud, ne quittent pas le devant de la scène. Difficile de prétendre que le tourisme se résume à une activité neutre : quand les anciennes puissances coloniales cherchent leur place face à un continent qui avance, chaque voyage matérialise l’ambivalence de ces liens en transformation.

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L’Afrique, objet de fixation et héritages multiples

Depuis des siècles, la carte d’Afrique occupe une place fascinante dans les têtes européennes. Dès le XVIe siècle, explorateurs et érudits se lancent dans la représentation, et la conquête, de ce vaste continent. De la Société de géographie à la Bibliothèque nationale de France, des générations ont accumulé cartes et récits, mêlant soif de savoir, admiration et bien sûr, envies de domination. Aujourd’hui encore, les cicatrices de la colonisation sont palpables, inscrites dans le bâti, les langues, l’économie, les musées.

Nouvelle ère : la culture du continent africain attire des voyageurs qui cherchent à s’affranchir des circuits figés. D’un bout à l’autre du continent, Afrique du Nord, Afrique centrale, Ouest, Australe, chaque pays affirme sa voix singulière, résultat d’un passé complexe et vibrant. Les itinéraires suivent parfois les anciens trajets d’exploration ou de commerce, des parcours que la géographe Isabelle Surun décrypte en détaillant les circulations européennes sur le sol africain.

Les allers-retours européens s’intensifient grâce à de nouvelles ouvertures vers l’Ouest continent africain. Chercher un vol cote divoire suffit pour mesurer le phénomène : la demande explose et le choix s’élargit au-delà des métropoles, entraînant les voyageurs vers des territoires souvent méconnus, avides de comprendre un continent qui évolue à toute vitesse.

Explorateurs, empires et transmission : quelles traces aujourd’hui ?

Le récit de l’exploration et de la colonisation façonne encore, parfois en filigrane, le regard européen sur le continent africain. Cartes anciennes et frontières nées au XVIe siècle, jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale, témoignent autant de rêves hégémoniques que de fascination pour l’inconnu. Des figures comme Mungo Park, René Caillié ou Jean-Baptiste Bourguignon d’Anville réapparaissent dans les discussions sur la mémoire et l’identité africaines.

Aujourd’hui, les liens ne se réduisent pas aux archives ou aux palais coloniaux. La diaspora du continent africain, notamment à Paris, Londres ou Bruxelles, insuffle une mémoire vivante, faite de blessures et de fierté. La popularité croissante du tourisme mémoriel en atteste, avec des itinéraires passant par des sites inscrits au patrimoine mondial : anciens comptoirs, lieux de révolte, traces marquantes d’une histoire tissée à plusieurs voix. Les recherches menées par la géographe Isabelle Surun permettent de revaloriser des regards africains longtemps relégués au second plan et d’ajouter de nouveaux chapitres à ces histoires partagées.

Bamako, Dakar, Brazzaville, Kinshasa ou Abidjan : partout, les vestiges architecturaux rappellent l’emprise du passé colonial, avec leurs palais, leurs avenues et leurs figures statufiées. Mais la mémoire ne se limite pas aux pierres. Elle s’exprime dans la littérature, l’art contemporain, les mouvements sociaux. Ceux qui prennent le temps d’écouter, de lire, de dialoguer le sentent vite : l’empreinte laissée par l’histoire réapparaît à chaque détour du voyage.

Tourisme d’aujourd’hui : comprendre, échanger, s’ajuster

L’ombre des clichés s’estompe progressivement dans la façon dont se vit le tourisme contemporain sur le continent africain. L’envie d’un simple dépaysement cède la place à la recherche d’expériences à hauteur d’homme. Depuis une quinzaine d’années, on ne se contente plus d’accumuler les photos souvenirs. Rencontrer, échanger, explorer les pluralités patrimoniales et sociales : telles sont les aspirations qui font bouger les lignes. Les visiteurs, sensibles au tourisme mémoriel, parcourent des sites du Maroc au Rwanda, de Marrakech à Pretoria, pour comprendre comment les récits d’hier façonnent les réalités d’aujourd’hui.

Les acteurs de l’hôtellerie, de leur côté, innovent sans cesse. L’offre se transforme, misant sur des séjours sur-mesure, à la frontière de l’écotourisme et des démarches responsables. Au Kenya ou au Botswana, des lodges et réserves privées accordent la priorité à la rencontre humaine, à la préservation de la biodiversité, loin de la logique du tourisme de masse. Chaque région, australe, nord, ouest, centre, façonne ainsi une identité affirmée, et chaque pays revendique ses propres valeurs.

Voici quelques dynamiques fortes qui dessinent cette nouvelle façon de voyager sur le continent :

  • Investissements internationaux axés sur la protection et la mise en valeur des espaces naturels et parcs nationaux
  • Offres culturelles et gastronomiques renouvelées dans les grandes villes du continent africain
  • Initiatives locales engagées dans la sauvegarde des savoir-faire et du patrimoine intangible

Ce tourisme repensé, pensé pour durer, séduit des profils variés : chercheurs, passionnés d’histoire, familles en quête de découvertes porteuses de sens. Les voyageurs européens découvrent peu à peu un continent aux mille visages, où l’énergie urbaine côtoie la sagesse des campagnes.

Prendre un billet pour le continent africain aujourd’hui, c’est choisir d’ouvrir les yeux et de faire bouger les lignes, sur des pistes rouges ou à travers un marché effervescent. Ce voyage, décidé ou rêvé, a le pouvoir de renverser les perspectives, pour peu que l’on accepte de laisser les certitudes à la porte.